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La Fabuloserie à Dicy (Yonne), art hors-normes : le jardin
Pour la cinquième ou sixième fois, nous avons visité « la Fabuloserie », à Dicy (Yonne), tout près du Loiret. Cet espace a été créé en 1982 par Alain Bourbonnais pour sa collection de créations d’artistes (on dit plutôt « créateurs ») marginaux.
Pas facile de faire la différence entre art naïf, art brut, art hors-les-normes, art singulier.
On a d’abord parlé d’art naïf pour des peintres autodidactes. L’art naïf raconte des scènes de la vie, souvent en enjolivant, avec des couleurs vives, de manière assez conventionnelle.
Puis Dubuffet a parlé d’art brut. En 1940, à l’hôpital de Saint-Alban (Lozère), les médecins soignaient les malades par l’art. Cet hôpital cachait également des résistants, par exemple Paul Éluard et sa compagne Nausch, et Denise Glaser. Éluard racontera son séjour dans « Souvenirs de la maison des fous » et Didier Daeninckx parlera de cet hôpital dans « Caché dans la maison des fous ». Les créateurs d’art brut utilisent des matériaux divers, recyclés, ciment, bois, toile, ficelle et les couleurs sont parfois sombres reflétant un mal-être. Pas de règles, pas de principes, ils font ce qu’ils veulent. Ces créateurs sont souvent rejetés par la société, ou ont été soumis à l’oppression de la tradition, de la religion… Ils ont souvent été vachers, ferrailleurs, bûcherons. On parle parfois « d’art des fous » mais Dubuffet disait « Il n’y a pas plus d’art des fous que d’art de malades du genou ». Ils créent pour eux, par émotion, par envie, pas forcément pour vendre (sauf quelques exceptions). Ils créent pour eux-mêmes, et, sauf quelques exceptions, par pour vendre.
Alain Bourdonnais avait commencé à collectionner des œuvres et des objets d’art forain, il fait la connaissance de Dubuffet et ouvre une galerie à Paris. Dubuffet s’oppose à ce que sa galerie s’appelle art brut et propose « art hors-les-normes » spécifique à sa collection. Mais le loyer de la galerie est cher et Bourbonnais installe sa collection dans sa maison de campagne. Il ouvre au punlic en 1983. Maintenant ce sont ses filles Sophie et Agnès qui gèrent le musée.
Alain Bourbonnais était très proche des créateurs,Émile Ratier, Francis Marshall, Marie-Rose Lortret …
Comme nous sommes un groupe, nous avons droit à une visite guidée complète (jardin et musée) de 2 h 30 (en individuel, on a seulement une visite guidée du jardin, mais des médiateurs sont dans les salles pour faire fonctionner certains objets)
À côté du musée, dans un petit espace se trouvent des œuvres de Nek Chand (1924-2015). Cet artiste indien, d’origine pakistanaise, est venu en Inde peu après la partition de l’Inde (1947). Il travaille à Chandigarh, ville nouvelle conçue par Le Corbusier. Il fait un rêve et se met à défricher un terrain et à construire, secrètement, des cascades, des chemins, des arcades, des sculptures pour son « jardin de dieux et déesses ». Il utilise des pierres, des briques, des capsules de bouteilles, des bouts de faïence, des bracelets (les fameux bangles que nous vus partout au Rajasthan), et autres des matériaux de récupération divers pour construire ce Rock garden. Quand son jardin est découvert, en 1972, il est d’abord question de le raser mais les autorités l’autorisent finalement à continuer son œuvre. Il a même été reçu par Indira Gandhi et célébré par Mori.
Catherine Bourbonnais a eu la chance de pouvoir acquérir quelques statues en 2005. Les sculptures du musée ont souvent été sauvées de la destruction par les Bourbonnais.
La visite du jardin se fait toujours en visite guidée.
Les sculptures sont disposées autour de l’étang.
À l’entrée, se trouve l’un des deux ateliers d’Alain Bourbonnais (l’autre atelier était dans le bâtiment qui est actuellement la billetterie et le musée), de l’autre côté de la rue.
Dans le parc, il y a également la maison d’Alain Bourbonnais, actuellement la maison de ses filles et un bâtiment qui sert d’hébergement aux stagiaires et guides du musée.
En plus d’un collectionneur, Alain Bourbonnais était un créateur. On ne pénètre pas dans l’atelier du parc (il me semble qu’il y a dix ans, nous avions vu des sculptures à l’intérieur). L’atelier est en parpaings mais sa structure se fond bien dans le paysage.
Le parc d’un hectare est constitué de 50 % d’eau et 50 % de terre. Actuellement, l’étang est recouvert d’algues et un ragondin a creusé un tunnel, ce qui fait que l’eau de l ‘étang se déverse dans la rivière proche.
Le premier groupe de sculptures est de Jean Rosset, décédé en décembre 2021. Les sculptures que nous voyons ici datent, pour les plus récentes de 2018. Elles ont été repeintes cet hiver. Il a été vacher dans l’Isère, puis bûcheron et sculptait au couteau dans ses bâtons de berger. Il fit ensuite des sculptures monumentales, travaillant à la tronçonneuse et à la hache, en se servant des courbes des fibres du bois, des nœuds (technique de la paréidolie). Il donne à ses expériences les noms de biosculpture, arborisculpture, agrosculpture. Certaines de ses sculptures sont biodégradables. Les sculptures sont deux visages (sauf pour la plus petite).
recto-verso
Alpo Koivumaki, est un artiste finlandais, agriculteur qui a découvert les animaux d’Afrique en lisant des magazines. Il se mit à en créer en se servant de bouts de métal, d’outils, de roues, de pneus. Invité par Caroline Bourbonnais, il créa ici un élan de Finlande.
Jean Bertholle (1910-2002). D’abord ouvrier dans une usine de talons de chaussures pour la marque André, puis garde-chasse, il inventa des outils de jardinage. À la retraite, il se mit à créer des figures en tôle découpée qu’il mit en mouvement à l’aide d’hélices. Un peintre comtemporain porte le même nom (1909-1996)
Jean-Pierre Schetz (1921-1986. Belge, il fut ferrailleur, maçon puis agrémenta sa maison qu’il appela « Un coin de soleil » de mosaïques.
Jules Damloup est né à Boesses en 1898, Il était cultivateur, Quand il prit sa retraite en 1969, il commença à peupler son jardin d’animaux de la savane, Pour construire les animaux de La petite Afrique, il s’inspirait des images des tablettes de chocolat Poulain, Les statues sont en ciment plein, La girafe pèse 700 kg, Babar est le premier animal construit, un système d’arrosage était intégré à la trompe.
François Portrat
Les médaillons réalisés à partir de bris de verre et d’assiettes achetées en brocante ou trouvées dans les décharges sont intégrées dans un mur rouge créé par Le Bourbonnais. Il assemble les morceaux avec du ciment et du sable et colle sur les méadillons des portaits de personnalités, la reine d’Angleterre, Fernandel, Brigitte Bardot...
l"aigle est une sculpture de Camille Vidal.
Devant le mur rouge, se trouvent des sculptures de Camille Vidal. Ancien cimentier, il a créé des statues en ciment représentant des personnalités et des animaux, il nomme l’ensemble « l’arche de Noé ».
à gauche, Olive, M.Jackson
Don Camillo et Peppone
Danièle Gilbert et Jacques Martin
Adam et Êve
Clémenceau et Churchill :
Jayne Mansfield
Le Poilu, c'est Camille Vidal lui-même
Alain Bourbonnais, dont nous verrons les Turbulents à l’intérieur du musée, a aménagé un décor de place de village autour d’une grande tour pour tourner des courts-métrages réalisés par Jorge Amat, « Tubulent’Band » et « Triciclo ».
Robert Vassalo, dit Vlo a commencé à peindre des acryliques annotées de comptines. Ici, sont exposés des personnages en ciment polychrome.
Charles Pecqueur a été mineur, puis résistant puis maire de sa commune de Ruitz, près de Béthune. Il a créé des statues pour décorer sa commune. L’une d’elles représente Alain Bourbonnais à genoux devant Blanche-neige.
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Commentaires
Excellents commentaires et jolies photos ! Il fallait bien qu'Alain Bourbonnais soit lui-même un artiste déjanté et un architecte pour s'intéresser à ces œuvres hors normes et leur voir un avenir commun et aussi qu'il ait de grandes qualités humaines pour apprivoiser ces artistes et en faire des amis... Une chance aussi que son fonds se soit enrichi grâce à sa famille qui a continué son œuvre. (Notre guide nous a dit de façon claire que Dubuffet, en revanche, était un sale type) En tout cas, c'est un lieu habité assez magique !